Le poids de l'avenir (extrait)
Le nouveau monde est divisé de plusieurs camps. Chaque être humain possède un chiffre, et une puce à l'oreille droite qui indique la position GPS et les idées.
De l’autre côté de la ville, c’est la résidence des artistes : C’est un lieu plutôt modeste, comme une grande bulle de verre. Quelques arbustes et un peu de lierre encercle la place, et le terrain vague non-loin de la résidence. C’est un abri, plus qu’une prison. Les artistes se sont volontairement isolés du nouveau monde pour établir un plan de résistance auprès des forces du nouvel ordre. Ici, il n’y ni règle, ni société, ni loi, ni Dieu, ni Maître. Chacun donne son avis comme bon lui semble, il y a des désaccords, des accords, des amourettes, et c’est très bien comme ça.
Personne ne craint les paumés - parce qu’on les nomme ainsi - et personne ne craint l’autorité d’un pacifiste démuni de toute forme de structure.
Personne ne craint les ringards.
Chez les artistes, pas de vie terrestre, ni d’âge. Pas d’identité, pas de codes, pas de chiffres, pas de GPS ; Ces gens-là appliquent une philosophie qu’ils nomment “La philosophie de non-possession”.
En somme, ils ne possèdent rien. Ils se contentent d'exister.
ACTE II - En banlieue lointaine
L’opportuniste boit son café en attendant l’heure parfaite pour sa balade. Alors, il rechercherait l’inspiration pour la nuit, puis le lendemain matin, il arrivera mielleux à la table du petit déjeuner avec son calepin bourré d’idées, de poèmes et de pièces de théâtre en tout genre qui changeront peut-être un peu le nouveau monde, pour qu’il soit tout nouveau, ce monde.
Peut-être aussi, espère-t-il la rançon de la gloire qu’il lui manque tant, peut-être de surcroît, le regard de sa chère et tendre, admirative, les yeux qui brillent, et les lèvres prêtes à recevoir l’amour qu’il lui porte.
Rien de tout cela n’arrivera, parce que celle que l’on nomme la rêveuse n’a d’yeux que pour l’idéaliste. L’idéaliste est utopiste, et il ne parle que de la fin de la guerre, de matins ensoleillés, de démocratie et de beautés cachées.
L’opportuniste bien sûr, le trouve idiot et démuni de sens critique.
Mais elle s’en moque bien, la rêveuse. Elle le désire tant, qu’un jour, pour sûr, elle se l’appropriera corps et âme…
: Eh ! Le nerveux ! Viens voir une seconde.
Nerveux : Quoi ? Quoi ? Quoi ?!!!
L’opportuniste : N’aie pas peur, crétin, c’est moi. Je viens pas t’engueuler, ni moins te faire la morale. J’espérais te causer un peu.
Nerveux : Causer de quoi ?
L’opportuniste : Je n’arrive pas à faire de choix. Tu fais comment toi, quand tu es confronté à ce type de situation ?
Nerveux : Je n’en fais jamais. Je ne change jamais, au grand jamais mes habitudes.
L’opportuniste : Ducon. Comment diable es-tu arrivé ici si tu n’as rien changé ?
Nerveux : Je n’ai rien changé, sauf d’habitat. Ça m’a valu 5 nuits complètes d’insomnie.
Un ange passe.
Nerveux : Tu veux quoi ?
L’opportuniste : Je voudrais séduire. Et pas seulement les femmes. Séduire…
Nerveux : Dans ce cas, tu ne t’allieras qu’au trac. Oublie. Ne demande pas ce genre de conseils à moi, la boule nerveuse.
L’opportuniste : Je pensais qu’on pourrait discuter. J’entends dans la bouche de certain que tu es intelligent. L’es-tu ? Moi, on me traite d’idiot à longueur de journée, j’en ai ma claque.
Nerveux : Je n’en sais rien.
L’opportuniste : Tu ne sais pas grand chose.
Nerveux : On te traite plutôt d’hypocrite, en fait. On dit que tu changes ton discours pour les beaux yeux de ton auditoire. Tu as la réponse, tourneur de veste. Tu séduis tellement que tu as déjà droit aux critiques des médias.
L’opportuniste : C’est archi faux ! Je… Bon, ok, il m’arrive de temps à autres d’être indécis.
Nerveux : HA ! HA !
L’opportuniste : Moque-toi.
Nerveux : Tu t’en moque bien toi, de tenir parole. Garde-toi des conseils avisés d’autrui, tu n’en saisiras jamais l’occasion pour te connaître enfin. Sur ce, à plus tard, camarade.
Nerveux quitte la pièce, puis s’arrête un moment sur le pas de la porte. Sans se retourner, il parle dans sa barbe.
Nerveux : … Et puis séduire, n’est-ce pas déjà un désir de possession…
Nerveux quitte définitivement la pièce d’un pas assuré, les mains tremblantes, et sifflote le générique du livre de la jungle.
L’opportuniste reste assis un instant, dans la pièce désormais vide qu’est l’atelier des peintres, puis quitte la pièce, l’air nonchalant.
Nerveux entre dans la pièce où se situe rêveuse. Elle regarde à la fenêtre, et fredonne un vieil air révolutionnaire. Nerveux aimerait avoir le cran de l’aborder. Il aimerait parfois mieux l’a connaitre, et ne dort plus la nuit tant sa beauté l’émoustille.
Rêveuse : Dis-moi l’utopiste…
Rêveuse se retourne, sourire au lèvre. Son rictus s’efface aussitôt qu’elle aperçoit la Nervosité, à la fois surprise et curieuse.
Nerveux halète, il ne bouge plus.
Rêveuse : Oh c’est toi. Pardon, je t’ai fait peur. N’ai pas peur. Je pourrais te parler d’utopie, à toi aussi.
Les yeux de nerveux semblent s’éclairer de cette si douce et subite chaleur. Il semble presque ressentir de la curiosité; Un peu de tendresse dans son monde de brutes.
Nerveux: …Oui ?
Rêveuse : Oh… Je voudrais tant parler d’utopie, mais je ne puis…
Une larme se glisse doucement sur la joue de la rêveuse, qu’elle s’empresse d’essuyer. Trop tard, nerveux l’a vu, et devient Curieux. Il s’approche avec calme et méfiance, comme un chasseur en quête de réponses qui ne sait plus sur quel pied danser.
Curieux: Pourquoi ? Comment ? Toi ? Toi qui chante de l’aube jusqu’au soir ? Toi.
Rêveuse : Oh, comme c’est curieux. Je n’ai qu’une envie, c’est de parler d’amour. Mais l’idéaliste me refuse, parce que c’est un sujet trop vague, pas à la hauteur, trop pauvre pour le monde que nous voulons construire.. Et je ne puis le croire.
Curieux : Impossible. Je veux dire, il n’y a pas d’utopie sans amour. Et il n’y a pas de philosophie avec la possession et l’avoir. Ce n’est pas nous ça, tu le sais. Je crois qu’il a causé à celui que je nomme tourneur de veste. C’est irréfutable. Je vois ce que…
Rêveuse, curieuse, s’approche de plus près. Curieux redevient nerveux, il tremble de tout son être, et reste sidéré par cet élan d’attention. À présent, sa bouche est sèche, et ses mains sont moites.
Nerveux : … Ce qu’il se passe. Excuse-moi.
Avant même que Nerveux n’ait tourné les talons, rêveuse attrape son bras, et le regarde dans le blanc des yeux.
Rêveuse : .. Se passe… Quoi ?
Un ange passe.
Le temps semble durer une éternité, jusqu’à ce que quelqu’un arrive d’un pas boiteux, quelqu’un de bruyant et d’intrépide. Quelqu’un qui ne semble pas concerné par le monde qui l’entoure.
(À suivre)
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