Idée d'histoire : "le masque"

Le premier message que tu m’as envoyé, c’est celui-ci “Je crois que je viens de croiser la femme de ma vie… va-t-elle me répondre ?” … D’abord, j’ai pensé au mot “femme” et au mot “vie”. Je suis la femme… D’un homme ? Et je t’ai répondu, avec ironie, le sourire aux lèvres. Mais tu t’es trompé : la certitude est synonyme de folie, et la tienne pourtant me séduit — peut-être parce que c’est ma propre démence qui s’exprime à ma place…

Un couple se rencontre, se construit, dans des conditions hors du commun. D’emblée, un jeu de rôle et de semblants s’installent entre eux, fondant la plus grande des authenticités. Le problème sera d’arrêter le jeu… On a bâti des sommets, des idéaux, comme des fous mégalomaniaques : mais lorsque le soleil se lève, les idées tombent, et on se retrouve là, à parler de la pluie et du beau-temps, sans oser parler d’orage ou de foudre.

“Nous sommes des hors-la-loi. Tu t’appelles Scarlett, et moi John. Nous ne devons révéler notre véritable identité au grand jour ou sinon ; ils vont nous coffrer…”
“Qui diable ?” interrogea la femme, avec un sourire espiègle. “Qui diable pourra donc nous coffrer ?”
“Ceux-là… Qui ne connaissent pas les tréfonds ludiques de l’âme humaine.” répondit l’homme, le regard lointain. Il jouait, lui aussi, et elle le lisait dans son regard.
“Ne joue pas aux poètes, idiot !” Elle lui disait cela comme pour masquer que, sous ses grands airs d’intellectuelle qu’elle se donnait pour plaire, elle manquait en réalité cruellement d’assurance. L’homme aussi : mais ils ignoraient réciproquement leur propre défaut aux yeux de l’autre. Autrement dit, tout s’emmêlait : elle, pensait lui faire peur. Lui, craignait de la perdre. Et c’est dans cet énorme quiproquo que se bâtirent pourtant ces élans passionnels et amoureux…

“j’ai besoin de toi comme d’une infirmière, que tu répares ma tête, et mes sentiments qui fonctionnent plus bien…” “…sur la musique, on va on vient…” Cette chanson de Fauve, résonnait dans des élans d’amour, des élans sensuels ; parce qu’il était le genre d’homme à me faire l’amour juste par le regard. “on va, et on vient”. Cette phrase résonnait en boucle, comme s’il y avait de l’écho dans les hauteurs de ses espoirs multiples. “je te tiens, je te retiens, du bout des doigts, pour te ramener contre moi..” Donne-moi cette tendresse, sinon, je vais mourir. Mais je ne puis le dire : ce serait trop fort, trop cru, et peut-être faux. Peut-être faut-il s’attacher à la réalité, sans séparer les rêves du matériel, aussi pur qu’il soit.

“Je l’ai su tout de suite, quand j’ai rencontré ton père…” lui disait sa mère. “Je suis tombé tout de suite amoureux de ta mère. Bon sang, ce qu’elle était belle, ta mère…” lui disait son père.
Alors pourquoi est-ce que je me pose tant de questions ? Peut-être que je suis dans la certitude du doute ? Je suis certaine de douter ; alors qu’en réalité, je ne doute point, j’affirme !

Elle cherchait ce genre d’aventure hors du commun, mais sans le savoir. C’est avec lui qu’elle le trouva (ou pas ?).

Auparavant, quelques mois plus tôt, elle écrivait à des inconnus sur le web. Ceux qui aimaient la vieille musique issue de la contre-culture (la belle époque, celle de nos parents), ceux qui étaient littéraires, ceux qui l’étaient un peu moins mais poètes dans l’âme, les musiciens, les artistes en tout genre, et les intellectuels. Elle demandait à ces hommes de lui écrire des lettres, des tas de lettres. Des lettres écrites à la plume, avec une belle plume. Sans qu’aucun de ses amants ne le sache, elle démultipliait les aventures, à la conquête de celui qui saura lui démontrer le plus beau des amours, à celui qui saura aimer de manière inconditionnelle sans avoir à le démontrer avec des paroles futiles… À celui qui n’aura pas peur, ne fuira pas lorsqu’elle se révélera. Alors chaque jour, elle attendait ces lettres. Elle en reçu des tas : des prétendants qui donnaient tant pour la séduire, comme un prédateur chasse sa proie.
Mais dès lors que les échanges s’intensifièrent, les hommes partaient les uns après les autres, aussi vite qu’ils étaient apparu. Elle finit par croire que c’était peut-être là, la nature de l’homme. Mais elle n’était pas comme les autres femmes : se faire “désirer” n’était pas son fort, elle prônait la sincérité, l’expressivité, et de toute manière, même si elle ne parlait pas, son visage débordait sans cesse d’émotions en tout genre. Alors, se dit-elle, “si tous les hommes sont ainsi, peut-être ne trouverais-je jamais chaussure à mon pied.”

Même si elle eut tenté par le passé de conduire de l’autre côté de la route, explorant les rondeurs sensuelles des femmes, elle se rendit rapidement compte que l’engagement ne venait que d’elle : elle ne s’engageait pas. Elle fuyait dans un monde idyllique, imaginaire, dans lequel l’amour durerait toujours, dans lequel l’osmose n’était pas éphémère, un monde dans lequel deux êtres s’attendaient quelque part.

Mais lorsqu’elle se décida enfin à jouer, comme une enfant, alors son destin bascula. Elle porta un masque, et son nouveau compagnon en fit de même. Ils jouèrent aux bandits, au policier et au voleur, au prince et à la princesse, au papa et à la maman, à la marchande, aux billes, à la marelle, bref, ils jouaient, comme des enfants. Ils se cachèrent sans se dévoiler, et se dévoilèrent en se cachant. Une part de naïveté tressaillait de l’ombre ; et de l’ombre émanait de leur naïveté. De la vie émane une petite mort ; et de la mort, provient de la vie.

Cette petite plaisanterie, si l’on peut l’appeler ainsi, pouvait durer longtemps, très longtemps… Jusqu’à tant que les masques tombent. Mais cela la terrifiait. Pourtant, auparavant, cela fut un effort permanent pour elle de porter un masque, si bien qu’elle le retirait beaucoup trop vite, et dès lors, son compagnon prenait la fuite. Il lui fallait calculer chaque fois le temps de latence entre chaque message et sélectionner minutieusement ses mots — avec parcimonie. Il fallait avoir l'air détachée, désirable. Peut-être doutait-elle qu'elle soit désirable ? Non. Mais elle doutait en revanche que l'on puisse l'aimer. Donner, autant qu'elle était prête à donner. À vrai dire, elle donnait ce qu'elle voulait qu'on lui donne, sans succès, car nous le savons, c'est toujours un casse-tête chinois sans fin ces histoires...

Mais ce masque-ci était spécial. À distance, certains codes revenaient : mais ce n'était pas grave. Elle se sentait apaisée en son être. Elle pensait : "peut-être que ça ne va pas durer : à vrai dire, j'en doute fort. C'est juste un béguin... Un gros béguin de jeunesse."
Le masque prenait différentes formes, colorées et plus sombres, et dans le fond, il y avait une transparence bien singulière qui permettait à la sensibilité de chacun de se rencontrer.

Mon rêve, cette nuit,  comportait cette thématique : celle d'être face à quelqu'un qui refuse la séparation, et qui refuse l'altérité ; et qui, pour finir, m'efface. "Anaclitique" dirait-on, synonyme d'un collage, d'un besoin inaltérable.

Et moi, je pense, et je pense trop. Je veux atteindre l'intouchable : que me veut cet autre ? Dans le fond, c'est bien là le mystère que je tends à percer. Je crois même que c'est ce mystère-là que j'aime. Et cet autre, il n'est qu'une illustration, une surface, une expérience, de ce désir que je teste et recherche encore et en corps.

J'aime la romance plus que je n'aime sincèrement mon partenaire... J'aime l'idéal d'un passé auquel je m'accroche, une jouissance perdue et lointaine.

Je voudrais fuir, et lui dire tout cela. Lui dire : je ne veux pas de toi. Mais je le ferai uniquement pour qu'il m'aime. Pour qu'il dise : "tu es rare"... j'ignore encore la nature de sa rareté, à lui. J'ignore sur quelle bordure de mon âme, elle résonne. Mais c'est un sentiment bien déraisonné...

C'est trop : avec moi, c'est toujours trop. Je vis sur une autre planète : du moins, c'est ce que j'aime à penser.

Je l'ai inventée de toute pièce cette histoire ! J'eus écrit, avant de te rencontrer, puisant dans mon imaginaire, l'histoire d'un garçon et d'une fille, assis, partageant leurs failles et leurs fragilités... je l'ai même dessiné dans ma tête. Je l'ai inventé. Mais j’ignore si c’est lui, mon destinataire. En fait, c’est moi qui joue : je joue à la chasse au trésor. Si ça ne marche pas, je m’en fiche, parce que je cherche le sens de ma vie : j’ai bientôt un quart de siècle, et je ne vivrais pas longtemps. Alors, je choisi l’art, car dans le fond, c’est peut-être mon seul amour. Même si ça ne marche pas entre toi et moi, je t’écrirai, encore et encore, sans te l’envoyer. Et peut-être même que notre histoire sera une matière pour un livre. Car oui : je crois que je regrette de ne pas m’être entièrement consacrée à l’écriture. Mais peut-être que si je ne meurs pas trop jeune, alors j’aurais le temps. Le temps de choisir ma place dans une société qui m’apparait pourtant si lointaine et étrangère ; et le pire, c’est que je m’y conforme. Je me vois m’y conformer, avec une telle rapidité. Quelle horreur ! Je deviens cette adulte que je redoutais tant plus jeune, cette adulte qui parle de bonnes nourritures et de machine à laver, de banque, de factures, et d’emprunts immobiliers. De CV, d’emplois… de ces conneries administratives qui pourtant dépassent l’humain.

Et vous, qui m’écoutez déblatérer chaque semaine sans mot dire : “l’analyste occupe la place du mort” dirait Lacan, mais moi, je sais que vous n’êtes pas mort. Et plus je manque, et plus j’écris. Et plus j’écris, et plus je vis.

Et toi, destinataire, Pauline, ma meilleure amie, et celle qui a toujours su m’entendre et me comprendre, et que j’écoute avec mon cœur. Et vous, amis, cousins, cousines, et toi, Béatrice, celle qui partage un quart de mon sang, et peut-être même de mon âme, et vous autres, je vous aime tant. Et j’aimerais tant transmettre…

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