La solitude
Est-il nécessaire de se trahir soi-même pour savoir aimer ? On ne peut aimer l'autre sans soi, voilà ce que j'y répondrais.
Ma sagesse me joue des tours, elle joue à cache-cache : ma sagesse, ainsi que je nomme ma solitude.
Même aux côtés d'un amour, d'un ami, je ne peux trahir mon âme et mon être : au risque de finir seule, une autre solitude. Une solitude fusionnelle, une solitude mortifère, une solitude dans laquelle on croit être deux alors qu'on est si proches qu'on ne peut même pas se regarder...
Mais les grands solitaires le savent ça : ils ont appris à penser, dans un coin. Ils ont appris à écouter, à observer, au fond de la classe, derrière une vitre... ils ont appris à voir sans se faire voir.
"Le modèle n'est qu'un hasard et un prétexte. Ce n'est pas lui qui se trouve révélé par le peintre ; c'est le peintre qui se révèle lui-même sur la toile qu'il colorie." (O. Wilde, Portrait de Dorian Gray)
C'est pareil lorsque l'on décrit, où se décrit une personne. La vision que l'on s'en fait n'est rien d'autre que notre propre regard, aussi propre, juste, ou injuste qu'il soit. Au fond, la véracité n'est plus une question. C'est le trait du spectateur qui importe. Son trait révèle quelque chose de ce qu'il est, et de ce qu'il observe à partir de ce qu'il est ; le tout, pour la simple et bonne raison que l'humain n'est rien sans interaction. L'environnement et la nature se constituent par des interactions permanentes et incessantes. L'accouplement produit parce qu'il interagit.
En somme, on pourrait dire que la solitude n'existe pas en soi. La solitude est une image, presque un concept. Quel humain est réellement seul, si ce n'est celui qui ne croit pas l'être alors qu'il est pourtant collé aux autres sans les voir ? Autrement dit, le vrai solitaire n'est-il pas celui capable d'admettre que sa vision ne se limite qu'à ses sens ? Que son esprit guide ses sens, son monde ? Tout comme ses organes, son cœur, ses artères, conditionnent sa vie et son existence. Tout comme son existence conditionne sa mort future. Tout comme sa mort future conditionne le cycle interminable de la vie (etc)...
Loin de moi — bien que j'y sois tentée — l'idée de partir dans de longs dialogues interminables, qui apparaissent sûrement aux yeux des matérialistes les plus avisés comme de la masturbation verbale.
Je ne souhaite d'ailleurs pas, contrairement à ce que beaucoup peuvent faire, opposer le monde des idées à celui des choses. Une chose, palpable, antérieure à nous-même, prend une essence commune dès lors qu'elle est nommée. Prenons, par exemple, du sable : le sable est pré-existant à nous, sans doute. C'est une matière pure. Et pourtant, le fait qu'il soit nommé "sable" lui donne une consistance qui dépasse le simple statut de matière brute. Parce que ce sable se partage et prend diverses formes, utilités symboliques. Les humains inventent avec de la matière qui les constituent.
Rien n'est isolé ni seul : car les choses interagissent entre elles. Les mots interagissent ainsi avec la matière, donc l'esprit interagit nécessairement avec le corps. Voilà pourquoi il serait trop court d'opposer la matière de l'esprit ; voilà pourquoi il serait trop court de limiter la solitude à une seule définition. La solitude n'est pas seule par définition, pourrait-on dire, si on aime à jouer avec les mots.
Je suis seule dans mes textes : je ne sais pas à qui je les adresse. Mais je m'en fous, maintenant. J'écris, et puis c'est tout. Je survis, c'est tout. Il n'y a rien de plus que je puisse faire.
Je crois que ma propre mère s'est persuadée ("grâce" à moi) que j'allais finir comme mon père : "borderline", c'est-à-dire, insoignable.
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