Les mots

J’éprouve une grande admiration pour les écrivains. Ils savent jouer et traduire par de simples mots, par de simples accouplements de syllabes et d’aphorismes une multiplicité d’images, un amas de chaleur émotionnelle et sensitive appréhendée par chacun face au monde. Comme des traducteurs, ce sont des architectes du langage, de la perception, des plus profondes, des plus imaginatives ; ces architectes savent traduire les maux de l’âme et manier d’un simple outil les plus complexes des mirages. Ils savent, comme les musiciens et les peintres savent le faire, transmettre et offrir en partage la résonance émotionnelle d’un nourrisson -de nous autres- qui ouvrons pour la première fois nos yeux sur le monde. Ces architectes de l’âme bâtissent et rebâtissent inlassablement un simple cri, une simple larme, un simple hochement de tête, un simple regard.

Oui, j’entretiens un lien fort, et éprouve une affection particulière pour ces écrivains et chanteurs morts ou démodés, ces bipèdes qui se masquent pour ne révéler que les tissages de leur conscience la plus profonde, ces chanteurs qui ont usé leurs cordes de voix et de violons à l’égard de qui veut bien entendre, et qui ont bercé mes premiers mots et mes premiers pas, mes premiers sourires et mes premiers émois.  

Je ne sais traduire mes tourments par de simples mots - j’ai besoin d’un tissage complet pour exposer la broderie de mes pensées déchaînées.

J’éprouve une grande admiration pour les orateurs. Ce ne sont pas des hypocrites, mais des joueurs d’échec. Ils savent mieux que personne déplacer les pions par les mots et les coups d’avance par la métaphore et l’ironie. Le langage comme un combat diplomate, les silences rythment minutieusement la pensée du joueur, tous les pions disposent d’un rôle par leur singularité, mais chaque avancée peut être rédhibitoire. À chaque partie son heure de gloire, et à chaque instant plus de passion à coup de poèmes et de sarcasme…

Ces premiers paragraphes, guettez-les bien pour la fin. C’est un instant enthousiaste fait d’apparence que je ne peux trouver sans combattre mes démons. Le bonheur seul n’existe pas, ne s’isole pas, il se morfond parfois, se confond, se dissocie ou s’associe, le bonheur est l’apaisement de l’âme après la tempête, l’existence est ainsi faite de soulagements successifs. La douleur en elle-même est une alerte à la survie, c’est de l’indifférence qu’il faut se méfier.

L’étau se resserre quand je ne laisse pas d’autres choix au non-choix, l’étau se resserre lorsque je ne bouge plus.
Le choix, c’est accepter de vivre avec le non-choix, le choix, c’est de composer à partir du privatif.
La liberté n’existe pour moi que dans l’instant et dans l’usage; je ne suis libre que si je décide de l’être, ainsi, je peux être libre en prison.
La liberté correspond au sens que je lui confère, la liberté est le soulagement d’une âme qui fut brusquée ; souffrir est salutaire.
En ce sens, la liberté est une arme de destruction massive eu égard à l’esprit critique - L’esprit critique ne survient qu’en cas de crise.

Oui, j’entretiens un lien fort à la musique et aux images multiples qu’elle m’évoque - un lien fort à ces chagrins universels de l’âme, ces notes et poèmes ayant si bien traversé le temps, quelque en soit leur support. Je ne vis que dans et au travers de la quête, je ne peux vivre dans l’attente. Je ne vis qu’au travers de l’insatiable, je ne vis qu’au travers de la voracité. Je vis pour transmettre, et ce, même si ma bouche reste close.

Commentaires

  1. Le merveilleux cliché « d’être libre en prison », belle invention bourgeoise (et que « je ne suis libre que si je décide de l’être », « composer à partir du privatif »). Mais :

    Le ciel peut s'éveiller, les étoiles fleurir,
    Ni les fleurs soupirer, et des prés l'herbe noire
    Accueillir la rosée où le matin va boire,
    Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.

    Et si « l’esprit critique ne survient qu’en cas de crise », encore faudrait-il être assez ouvert et lucide pour reconnaître la crise, quand elle se présente ou qu’on la suscite. Si l’on voit la musique comme l’expression « de ces chagrins universels de l’âme », on est fort loin de la crise comme remise en question, et on est fort loin de la musique comme puissance vitale de communication…

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    1. J'ajouterais que l'esprit critique se distingue de l'apriorisme au travers du doute et du questionnement.
      J'ajouterais aussi que la liberté rattachée à l'image de la prison prend ici la forme d'instinct de survie, de persévérance, de combat; voire de revanche. C'est une forme de liberté que de savoir se détacher de ses chaînes par la simple force de ce que je nomme "la rage de vivre".

      À contrario, la tragédie, la mélancolie, ou encore même la fatalité est belle parce qu'elle connait ou a connu des perspectives plus larges. La notion de mélancolie seule est un absolu, qui, en perdurant, ne peut laisser place qu'à des connaissances orientées, sans que celles-ci ne s'associent ou même ne se distinguent. C'est là - dans cette logique - une forme d'apriorisme.

      "Composer à partir du privatif" est un axe de réflexion, tout comme le désespoir est un axe de réflexion.

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