Les existentialistes connaissent des fins de moi difficiles.

 “Je suis enfermé à l’intérieur de moi-même et je n’ai pas les clés.” a dit l’homme à l’autre. C’est parti de là, je crois. Il y avait deux hommes sur le port ce soir-là. Je ne sais pas s’ils se connaissaient. On aurait dit une tragédie dont les contours ne sont pas encore pleinement formés… L’autre n’a rien répondu, naturellement. Il avait le regard vague qui cherchait bien plus loin tandis que son corps restait droit comme un piquet. L’homme à ses côtés n’insistait pas : il avait peut-être compris que le silence offrait une belle réponse à ces quelques mots. Sauf que ce n’était pas une pièce de théâtre, c’était juste un port envahi par la nuit, c’était juste deux hommes qui bavardaient et qui attendaient sans doutes que la lumière de la lune leur tombe dans les bras. L’homme s’est approché de l’autre, et lui a dit : “J’ai déconné. Je n’aurais pas dû débarquer chez vous l’autre soir.” L’autre ne disait toujours rien. Il semblait un peu indifférent à ce que l’homme lui disait, ou peut-être qu’il était simplement perdu dans ses pensées à lui. Impossible ce coup-ci de savoir qui des deux était le véritable poète. Il faut dire que cela ressemblait plutôt à des excuses qu’il lui faisait, l’homme, à l’autre. Quant à moi, je suis resté un bon moment à observer ces deux guignols en buvant mon café. C’est agréable de voir sans être vu et puis il fallait que je trouve des nouvelles idées à griffonner.  Je me suis dit que l’un d’eux était malheureux, sûrement l’homme qui disait être muré en lui-même. Tandis que l’autre qui ne répondait pas, peut-être indiquait-il par son silence une bien mure sagesse philosophique, une réponse parfaite à offrir au pauvre homme dévasté. Tous deux semblaient avoir une histoire lourde, brumeuse. Je suis resté attentif pendant un bon quart d’heure, et, au bout d’un moment, l’homme a glissé quelque chose d’inintelligible à l’autre. L’autre a souri, “Non, tu déconnes !” Qu’il lui a dit. On aurait vraiment dit que ces deux-là répétaient une tragédie grecque. Ce que je n’ai pas compris, c’est la tirade du début. C’est quand l’autre a finalement filé un trousseau de clé à l’homme que j’ai compris que cet homme-là avait bel et bien, et littéralement, été enfermé chez lui. 

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