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Le Loir et Le Raton

Après une dure journée de labeur, un raton laveur rentre dans son immeuble, et s’apprête à ouvrir, comme d’habitude, sa porte d’entrée, impatient de se faire un petit quelque chose à manger.  Le voisin, un grand loir qui passe juste à côté, salue d’un geste amical le raton-laveur tout en grimpant nonchalamment les escaliers.  Le raton-laveur le salue en retour, puis se retourne vers sa porte : malheureusement, le raton-laveur était bien loin d’imaginer que de nouvelles mésaventures viendraient, après cette journée, de nouveau le contrarier.  Un coup de clé ne suffit plus, la porte est bloquée.  Le raton-laveur réessaie, mais rien n’y fait.  Le loir qui, déjà sur son palier, s’apprête à rentrer, se retourne d’un coup, curieux de cette manifeste frustration chez son voisin le raton.  “Que se passe-t-il ?” Demande-t-il, toujours aussi cordial et subtil.  “Ma porte est bloquée” miaule le raton, “et ce n’est pas faute d’avoir essayé. La clé n’...

Où avais-je la tête ?

I l était une fois quelqu’un dont la tête, plus précisément, l’esprit, était séparé du corps. Ce n’était pas évident de se déplacer avec un tel désavantage : Aucun médecin ne savait dire de quels maux pouvait bien souffrir cet homme, car impossible de situer la douleur. Si celle-ci était palpable par le corps physique, elle n’apparaissait en aucun cas en parole dans la bouche de l’homme. Et inversement : Si un désir ou un besoin était verbalisé par l’homme, son corps quant à lui restait figé. Quand le cœur de l’homme était brisé, il lui fallait retourner chez le médecin comme on irait chez le garagiste pour réparer celui-ci : Aussitôt dit, aussitôt fait. L’esprit de cet homme et le corps de cet homme vivaient ainsi indépendamment l’un de l’autre, le terrain de l’un n’empiétant jamais réellement sur le terrain de l’autre. L’esprit se destinait à des opérations mentales plus complexes, ou encore à quelques élans du cœur et du désir. Le corps, quant à lui, se traînait pour ...

Ils n'étaient qu'une fois

Il était une fois… Quelqu’un qui en savait trop et pas assez. Et quelqu’un qui était, se contentait d’être, de n’être qu’un être indivisible, mais qui n’était pas assez présent, ni assez grand. Il était une fois… Quelqu’un qui en savait trop, mais pas suffisamment. Celui qui en savait trop vivait avec celui qui se contentait d’être : Il n'était qu'une fois. Celui qui se contentait d’être n’avait plus suffisamment d’air pour respirer, et celui qui en savait trop lui a dit que peut-être, celui qui ne se contentait que de son être ne se suffisait plus à lui tout seul… Qu’en effet, pour manquer d’air, il faut manquer de quelque chose, et que s’il nous manque quelque chose, on ne peut plus se suffire. Or, celui qui en savait trop manquait lui aussi de quelque chose : Comme il en savait trop, il manquait de place, et s’ennuyait de ce qu’il connaissait déjà. Celui qui en savait trop et celui à qui il manquait de l’air devinrent amis sur ces quelques échanges, induisant ici un commun ...

La contingence des mots

Rien n’a de nom et la stabilité me ronge Une énigme se trace au rythme de tes songes Bornée, je me redresse et puis je plonge Le tonnerre a frappé : il est temps de gribouiller Quelques mots pour me distraire, Et je m’enivre d’éphémères Rien ne sert de me taire, rien ne sert de m’y complaire Danse dans la nuit qui se morfond de mirages Danse et n’écoute plus ta raison qui s’enrage Une nuit pour m’enivrer, un matin pour chanter Au rythme du temps, le ciel danse sur mes pas Une mélodie qui me demande tout le temps “pourquoi?” Soustrait du désespoir, m’apparait cet encas Telle une soif qui pleure dans le creux de mes bras Tragédie de l’aube d’un matin enneigé, Comme une lune qui pleure ne sachant à qui causer Rien n’a de nom, plus personne ne sait, Raison et passion laissent place à l’enivré Ça ne bouge plus et l’inaction se tait.

L'aube du vent

Les passagers du temps laissent leur empruntes sur les murs de la vie, Dans les sables de l’oubli, dans le spectre de la nuit, et, Quand les passagers du vent laissent derrière eux des traces du temps, Les passagers de la nuit, tout endormis, ne pensent plus qu’au lendemain, Quand l’ennui arrive enfin, la passion d’un court chemin, qui enfin, les étreint… Quand les passagers du vent, laissent derrière eux des traces du temps, Enlacés par le vent, et se tiennent la main, comme des enfants Un dernier souffle, un dernier cri, et de plus belle, voilà que la danse reprend Les passagers des sables mouvants se laissent bercer par les dernières vagues, Son allure, plus vivace qu’un train, plus vivace encore qu’un scintillement, Se laisse bercer, d’avant en arrière, par cette fraîche mélodie, Et ne distingue qu’au loin, l’avancée de ce qu’elle retient, C’est écrit dans le creux de ces quatre mains, Les passagers du temps par un simple coup de vent, S’enfuient et reprennent vie, un dernier coup ...

Les mots

J’éprouve une grande admiration pour les écrivains. Ils savent jouer et traduire par de simples mots, par de simples accouplements de syllabes et d’aphorismes une multiplicité d’images, un amas de chaleur émotionnelle et sensitive appréhendée par chacun face au monde. Comme des traducteurs, ce sont des architectes du langage, de la perception, des plus profondes, des plus imaginatives ; ces architectes savent traduire les maux de l’âme et manier d’un simple outil les plus complexes des mirages. Ils savent, comme les musiciens et les peintres savent le faire, transmettre et offrir en partage la résonance émotionnelle d’un nourrisson -de nous autres- qui ouvrons pour la première fois nos yeux sur le monde. Ces architectes de l’âme bâtissent et rebâtissent inlassablement un simple cri, une simple larme, un simple hochement de tête, un simple regard. Oui, j’entretiens un lien fort, et éprouve une affection particulière pour ces écrivains et chanteurs morts ou démodés, ces bipèdes qui se ma...

Ne vous méprenez pas...!

Un loir isolé, au fin fond d’une pièce dans laquelle ça crie et ça chahute. Un conflit tressaillant l'a amené ici, dans cette pièce à la fois vide et remplie de monde. Le souci du loir est invisible, sa façade est rudement bâtie. À l’intérieur pourtant - cet autre type d’intérieur dont nous connaissons chacun l’enjeu - résonne une foule de songes en désordre. Son ami est là, au loin. Il s'approche du loir, hésitant. L’ami finira par s’assoir tout près. " Ne vous méprenez pas ” dit le loir. “ Ne me prenez rien. Ne me prenez pas ce qu’il me reste, et si je me contrains taire, je n’aurai en rien à m’en excuser. Je suis déjà à vos genoux braves gens, que vous faut-il de plus ? Ne me prenez pas ma plume, ne me prenez pas mon silence. Ne me prenez pas le regard, c’est ce qu’il me reste à vous offrir. Ma dignité est sur le pas de la porte, tandis que vous autres riez aux éclats, insouciants, m’implorant de participer à vos festivités. Je vous en conjure, ma douleur est for...