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Théâtre Magistral

Dans un coin de l’amphi-théâtre, mon regard s’attarde sur le public qui m’environne. Mes camarades ont plus ou moins mon âge, et il me semble en un coup d’œil déjà me glisser dans quelques fantasmes à leur égard. Ce petit groupe devant moi possède le don de m’agacer au plus haut point, éveillant d’anciennes souffrances de primaire et de secondaire. Leurs voix résonnent haut et fort, ils rient, leur allure est insouciante, et ils ne semblent pas se soucier sincèrement du cours. Face à eux, je ressens cette brulure intérieure, celle du besoin, et celle du désir, enflammée en contraste à leur indifférence manifeste. Mais eux ne me voient pas, et moi, je suis tellement occupée à m’imaginer des choses à leur égard que j’en perds ma propre identité : c’est que j’oublierai presque pourquoi je suis installée dans cet amphithéâtre. Je me vois leur conférer des choses que j’imagine qu’ils ont, et que je n’ai pas. L’audace, l’absence de pudeur, la spontanéité, l’excentrisme, et tant de choses enc...

Les existentialistes connaissent des fins de moi difficiles.

 “Je suis enfermé à l’intérieur de moi-même et je n’ai pas les clés.” a dit l’homme à l’autre. C’est parti de là, je crois. Il y avait deux hommes sur le port ce soir-là. Je ne sais pas s’ils se connaissaient. On aurait dit une tragédie dont les contours ne sont pas encore pleinement formés… L’autre n’a rien répondu, naturellement. Il avait le regard vague qui cherchait bien plus loin tandis que son corps restait droit comme un piquet. L’homme à ses côtés n’insistait pas : il avait peut-être compris que le silence offrait une belle réponse à ces quelques mots. Sauf que ce n’était pas une pièce de théâtre, c’était juste un port envahi par la nuit, c’était juste deux hommes qui bavardaient et qui attendaient sans doutes que la lumière de la lune leur tombe dans les bras. L’homme s’est approché de l’autre, et lui a dit : “J’ai déconné. Je n’aurais pas dû débarquer chez vous l’autre soir.” L’autre ne disait toujours rien. Il semblait un peu indifférent à ce que l’homme lui disait, ou p...

L'écrivain du dictionnaire

Présentateur : “ Bienvenue à cette très franche émission littéraire qui concernera aujourd’hui les mots. Vous restez cois ? C’est normal ! S’agissant d’un domaine aussi large et précis à la fois, beaucoup le reste. Mais notre invité surprise, lui, a décidé d’y faire face. Je vous présente, le premier homme à avoir inventé et écrit le dictionnaire. Bienvenu monsieur Jean-Pierre Mémaux. " J.P Mémaux : “Bonjour. Je vais aujourd’hui vous parler de mon histoire.” Présentateur : Attendez ! Nos auditeurs attendent plus de… J.P Mémaux : “Tout a commencé un fameux matin de janvier… Il faisait froid, mais ce silence régnait bien plus fort encore dans le clan familial. Je suis issu d’une fratrie très nombreuse, nous étions 7, donc peu de temps pour s’occuper des enfants. Mon père passait un temps fou près de la cheminée à faire des mots croisés, à défaut d’en faire usage. Ma mère quant à elle, préférait s’occuper d’informations, que ce soit à la télévision ou dans les journaux,...

Le Loir et Le Raton

Après une dure journée de labeur, un raton laveur rentre dans son immeuble, et s’apprête à ouvrir, comme d’habitude, sa porte d’entrée, impatient de se faire un petit quelque chose à manger.  Le voisin, un grand loir qui passe juste à côté, salue d’un geste amical le raton-laveur tout en grimpant nonchalamment les escaliers.  Le raton-laveur le salue en retour, puis se retourne vers sa porte : malheureusement, le raton-laveur était bien loin d’imaginer que de nouvelles mésaventures viendraient, après cette journée, de nouveau le contrarier.  Un coup de clé ne suffit plus, la porte est bloquée.  Le raton-laveur réessaie, mais rien n’y fait.  Le loir qui, déjà sur son palier, s’apprête à rentrer, se retourne d’un coup, curieux de cette manifeste frustration chez son voisin le raton.  “Que se passe-t-il ?” Demande-t-il, toujours aussi cordial et subtil.  “Ma porte est bloquée” miaule le raton, “et ce n’est pas faute d’avoir essayé. La clé n’...

Où avais-je la tête ?

I l était une fois quelqu’un dont la tête, plus précisément, l’esprit, était séparé du corps. Ce n’était pas évident de se déplacer avec un tel désavantage : Aucun médecin ne savait dire de quels maux pouvait bien souffrir cet homme, car impossible de situer la douleur. Si celle-ci était palpable par le corps physique, elle n’apparaissait en aucun cas en parole dans la bouche de l’homme. Et inversement : Si un désir ou un besoin était verbalisé par l’homme, son corps quant à lui restait figé. Quand le cœur de l’homme était brisé, il lui fallait retourner chez le médecin comme on irait chez le garagiste pour réparer celui-ci : Aussitôt dit, aussitôt fait. L’esprit de cet homme et le corps de cet homme vivaient ainsi indépendamment l’un de l’autre, le terrain de l’un n’empiétant jamais réellement sur le terrain de l’autre. L’esprit se destinait à des opérations mentales plus complexes, ou encore à quelques élans du cœur et du désir. Le corps, quant à lui, se traînait pour ...

Ils n'étaient qu'une fois

Il était une fois… Quelqu’un qui en savait trop et pas assez. Et quelqu’un qui était, se contentait d’être, de n’être qu’un être indivisible, mais qui n’était pas assez présent, ni assez grand. Il était une fois… Quelqu’un qui en savait trop, mais pas suffisamment. Celui qui en savait trop vivait avec celui qui se contentait d’être : Il n'était qu'une fois. Celui qui se contentait d’être n’avait plus suffisamment d’air pour respirer, et celui qui en savait trop lui a dit que peut-être, celui qui ne se contentait que de son être ne se suffisait plus à lui tout seul… Qu’en effet, pour manquer d’air, il faut manquer de quelque chose, et que s’il nous manque quelque chose, on ne peut plus se suffire. Or, celui qui en savait trop manquait lui aussi de quelque chose : Comme il en savait trop, il manquait de place, et s’ennuyait de ce qu’il connaissait déjà. Celui qui en savait trop et celui à qui il manquait de l’air devinrent amis sur ces quelques échanges, induisant ici un commun ...

La contingence des mots

Rien n’a de nom et la stabilité me ronge Une énigme se trace au rythme de tes songes Bornée, je me redresse et puis je plonge Le tonnerre a frappé : il est temps de gribouiller Quelques mots pour me distraire, Et je m’enivre d’éphémères Rien ne sert de me taire, rien ne sert de m’y complaire Danse dans la nuit qui se morfond de mirages Danse et n’écoute plus ta raison qui s’enrage Une nuit pour m’enivrer, un matin pour chanter Au rythme du temps, le ciel danse sur mes pas Une mélodie qui me demande tout le temps “pourquoi?” Soustrait du désespoir, m’apparait cet encas Telle une soif qui pleure dans le creux de mes bras Tragédie de l’aube d’un matin enneigé, Comme une lune qui pleure ne sachant à qui causer Rien n’a de nom, plus personne ne sait, Raison et passion laissent place à l’enivré Ça ne bouge plus et l’inaction se tait.